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Entretien avec Paule Salomon
Pour Paule Salomon, la guerre
des sexes est un malentendu :
pour les hommes et les femmes d'aujourd'hui il s'agit de devenir
forts et doux.
Réel : Aujourd'hui
la place de l'homme et de la femme dans le couple, dans la société
est en train de changer, vous qui voyez beaucoup d'hommes et de
femmes en démarche d'évolution, que pouvez-vous nous
apporter sur ce sujet là et quels outils proposez-vous pour
aider ces hommes et ces femmes dans leur parcours ?
Paule Salomon : Je crois qu'effectivement
le couple est en crise. Ce constat d'ordre sociologique concerne
beaucoup de gens, et les recherches sur la psychologie du couple
s'affinent. Je pense que le pire reste encore à venir, et
en même temps, je constate qu'il y a une possibilité
d'envisager la fin de la guerre des sexes. J'entrevois un axe, une
solution, un apaisement, il ne s'agit pas d'une fatalité,
d'un fossé abyssal, qui sépare deux êtres différents,
mais d'un malentendu de civilisation. Nous savons que l'amour est
comme une fleur qui n'a cessé de s'épanouir et de
se développer à travers les siècles, de se
raffiner à travers les plus poétiques d'entre nous,
hommes ou femmes. L'amour est une dimension en hausse à l'heure
actuelle, tout le monde se réclame de cette valeur et voudrait
l'incarner au moins une fois dans sa vie. Personne ne se résigne
à faire un couple dans lequel il n'y a ni désir, ni
amour. Nous sommes donc dans une tension paradoxale. Jamais on n'a
autant demandé au couple qui est en train de devenir le creuset
de l'amour. L'objectif est très différent et la manière
de vivre ensemble n'a pas évolué; donc nous nous trouvons
dans une sorte d'impasse, il y a toujours autant d'élan,
mais des difficultés se révèlent de plus en
plus. Nous héritons aujourd'hui d'une situation globale sur
la sexualité, sur la relation au corps très insuffisante,
qui fait que la misère sexuelle est aussi une réalité
suffisamment générale pour être préoccupante.
" Lorsqu'une femme prend
trop de pouvoir dans le couple,
son mari a des problèmes de désir, lorsqu'un homme
écrase sa
femme par son autorité, elle a des problèmes de désir.
"
Réel: Dans vos livres,
vous parlez de la sexualité comme pouvant nourrir en nous
les aspects les plus fins, une sexualité "éveil',
pouvez-vous nous en parler ?
Paule Salomon : Tout d'abord, on
ne peut séparer le sexualité des difficultés
psychologiques. Ces difficultés tiennent à trois types
de handicaps. Le fusionnel est le premier : beaucoup ont vécu
une fusion la mère ou au père qu'ils revivent avec
leur compagnon ou leur compagne. Ce fusionnel s'accompagne d'une
grande possessivité et des heurts se préparent, car
une personne ne nous est jamais complètement dévouée.
L'autre a d'autres désirs et la différenciation intervient
au sein de la fusion, le Je ressurgit au sein du Nous. Tout au long
d'une vie, le Je réclame son dû, toute personne a besoin
de continuer d'avancer vers elle-même et en même temps
de trouver le moyen de nourrir le Nous. On ne prépare pas
nos adolescents à sortir de l'illusion du fusionnel correctement.
Le fusionnel est une forme d'amour importante reliée en nous
à ce que nous avons de plus spirituel, au sentiment d'unité,
mais avec des limites archaïques qui le rendent trop possessif
et englobant, pour laisser la place à l'épanouissement
de la personne. Le deuxième handicap est la relation dominant-dominé
qui structure notre société et qui se retrouve dans
le couple. Pour être simple et trivial : "qui va tirer
la couverture à soi ? ", pendant la nuit, lequel va
se retrouver tout nu, lequel va grelotter de froid, pendant que
l'autre est bien enroulé dans la couverture ? Parfois en
séminaire, je fais faire un jeu avec une feuille de papier,
disant au couple "voilà, cette feuille de papier est
unique, précieuse, alors lequel des deux va parvenir à
la garder pour lui tout seul ? ", ce n'est pas triste de voir
ce qui se passe, même avec des gens prévenus ! Autrement
dit, le désir de survie en nous est très important
et dès qu'on empiète sur ce territoire, les réactions
sont extrêmement vives. Le dominant-dominé nous plonge
au coeur des structures sociales, car nous sommes obligés
de reconnaître que depuis des millénaires la société
s'est structurée au masculin. Dominance masculine théologique,
la notion du Dieu est masculine avec une culpabilité de la
femme qui a fauté. Même aujourd'hui dans un contexte
différent cette inscription est profonde en nous. La relation
dominant-dominé a besoin d'être apprivoisée.
Tout comme le fusionnel, elle n'a pas que des aspects négatifs.
Le négatif, c'est l'exploitation des uns par les autres.
L'aspect positif, c'est une hiérarchisation des fonctions
: "dans les domaines que tu connais le mieux, c'est toi qui
m'enseignes, et dans les domaines que je connais le mieux, c'est
moi qui t'enseigne." Comme nous sortons d'une relation parents-enfants,
nous avons tendance à jouer à l'adulte avec l'autre
et à lui donner le rôle de l'enfant, ce qui ne manque
pas de faire conflit, car aucun d'entre nous ne souhaite qu'une
personne s'immisce dans sa façon de vivre. Dès qu'il
y a ce jeu de mise en coupe réciproque, de surveillance,
dès que je veux changer l'autre, j'introduis dans la relation
une possibilité de refus et de conflit qui est préjudiciable
à l'amour et qui érode la force du désir. Lorsqu'une
femme prend trop de pouvoir dans le couple, son mari a des problèmes
de désir, lorsqu'un homme écrase sa femme par son
autorité, elle a des problèmes de désir en
ce sens qu'on ne peut séparer sexualité et psychologie.
Réel: Le troisième
handicap à la relation est donc le conflit issu du jeu dominant-dominé.
Pour ne pas rester dans le cercle vicieux du conflit quels outils
proposez-vous ?
Paule Salomon : Vous avez raison
de parler d'outils car mon travail dans les séminaires est
de trouver les outils pour sortir du fusionnel, pour permettre au
dominant-dominé d'être vécu de façon
positive. Ce troisième temps fort, celui du conflit, je souhaiterais
le voir aborder partout pour les adolescents. Je trouve que c'est
un secteur essentiel car la planète est loin d'être
sortie de la guerre. Nous sommes exploiteurs les uns pour les autres
dans des conflits des teurs et mortifères en ce qui concerne
les nations comme pour le couple. C'est un cercle vicieux du blessé-blessant.
La personne blessée devient potentiellement dangereuse pour
l'autre, donc blessante, et dès que je suis blessée,
je deviens blessante à mon tour. Et beaucoup d'entre nous,
même parmi ceux qui ont beaucoup travaillé sur eux,
découvrent un jour quelqu'un qui est leur maître à
ce niveau-là, quelqu'un avec qui ils ne parviennent pas à
juguler le conflit, et sentent monter en eux des violences dont
ils ne se seraient pas sentis capables. Et voilà que des
forces de destruction diaboliques se manifestent. Alors c'est là
que l'intelligence du cœur peut intervenir, il faut un troisième
terme: deux personnes engagées dans un conflit blessé-blessant
peuvent évidemment parvenir à en sortir seules. Il
faut souvent l'aide d'un thérapeute au moins sur l'un des
deux et parfois sur les deux et même lorsqu'on apprend les
outils, soyons clair, il n'est pas toujours facile de s'en servir.
Pour moi, l'intégration des outils sur lesquels je travaille
demande plusieurs mois voire un ou deux ans. C'est un endroit terrible
où l'ego est narcissiquement atteint, un endroit relié
à la peur que chacun d'entre nous nourrit d'être pris
en défaut. Pour sortir du conflit, il faut se mettre en cause
et commencer d'accepter son ombre : je dis des mots qui peuvent
paraître sibyllins : 'Le coeur naît de l'ombre'. Nous
croyons aimer, mais sommes dans l'illusion de l'amour tant que nous
ne tes pas capables de reconnaître nos torts.
'' Le coeur naît de l'ombre.''
La définition de la tyrannie, c'est de ne pas être
capable de se mettre en question. Nous sommes tous des tyrans dans
la défense de notre ego. Cela nous demande un retoumement
spirituel, c'est le développement de la conscience que d'être
cette personne qui va pouvoir se mettre en cause devant l'être
aimé : "oui je suis cette personne qui oublie d'éteindre
la lumière, qui dépense trop d'argent, qui rentre
plus tard que prévu, etc..." C'est un mouvement subtil
qui consiste à pouvoir accepter de se mettre à cet
endroit-là qui va décomprimer les tensions. II y a
aussi la dimension l'empathie, celle qui consiste à se mettre
à la place de l'autre, la dimension de l'écoute active
qui permet d'entendre derrière les mots la souffrance qui
anime la personne, c'est-à-dire de ne pas entrer dans le
jeu réactif de la souffrance. Les outils du conflit sont
à apprendre en séminaire, pas dans les livres, pas
dans les conférences. Il faut les vivre.
Réel: Ce conflit
est d'autant plus aigu à l'heure actuelle que les femmes
deviennent plus dominantes et que les hommes sont davantage en contact
avec leur partie féminine.
Paule Salomon : Je me passionne
beaucoup pour cet aspect que je considère comme une chance
pour notre époque. Nous sortons de l'ornière de la
relation homme-femme qui la confinait à l`intérieur
et les hommes à l'extérieur. Ceci se traduisait par
un refoulement du féminin chez l'homme (en tant qu'archétype
guerrier : de la finance, de l'esprit ou des armées) et du
masculin chez les femmes. Ce double refoulement a cédé
sous la pression des mouvements féministes qui a permis peu
à peu que la femme retrouve une place active. C'est comme
si nous nous étions partagé un temps l'humanité
en deux : aux hommes, l'actif ; aux femmes, le réceptif.
En fait, tout être humain est à la fois actif et réceptif.
Un nouvel homme et une nouvelle femme sont en train de se dessiner.
Leur 'figure' n'est pas terminée, c'est comme un puzzle qui
compose déjà un paysage que nous pouvons entrevoir.
Je parle de cette nouvelle femme dans La Femme solaire. La lune
était traditionnellement l'attribut de la femme, reliée
aux menstruations, et comme la lune reflète le soleil, la
femme était chargée de refléter l'homme. Mais
à son tour aujourd'hui, elle devient rayonnante. Ce ne sont
pas les hommes évolués qui me diront le contraire,
les hommes qui croyaient aimer des femmes soumises se rendent compte
que la femme rayonnante, c'est merveilleux pour eux. En même
temps, ils en ont peur parfois, car ils la confondent avec la femme
dominante et la Déesse-Mère.
'' Les hommes qui croyaient
aimer des femmes
soumises se rendent compte que la femme
rayonnante, c'est merveilleux pour eux ''
des origines, avec la femme très
puissante vue comme castratrice. Ils ont peur que cette femme émergente
redeviennent castratrice, et il faut bien avouer que le risque existe.
Au sortir d'années de soumission et d'engloutissement, la
révoltée a un aspect vindicatif, durci, trop mental,
elle perd certains traits que les hommes à juste titre, aiment
dans la douceur féminine. Je précise que les hommes
sont en train d'acquérir de la douceur et !es femmes de la
force, et que pour chacun d'entre nous, il s'agit de devenir fort
et doux.
Une nouvelle difficulté vient de ce que les femmes sont trop
fortes et pas assez douces, et les hommes trop doux et pas assez
forts. Un déséquilibre sociologique - plus accentué
aux Etats-Unis - peut se révéler en Europe. La féminité
est en train de toucher les hommes qui deviennent de plus en plus
sensibles et cette sensibilité est à la fois positive
et difficile. Ils descendent dans les enfers de leur inconscient
qui comporte ce côté dépressif de la nature
humaine. Longtemps les femmes étaient seules à faire
des dépressions, aujourd'hui les hommes en font lorsque leurs
femmes les quittent ou que leur vie professionnelle s'effondre...
Mais ce moment donne l'occasion de retrouver un sens profond à
la vie.
Comment chacun peut-il marier ces polarités? Chaque être
est unique, les nuances sont multiples. Les hommes qui viennent
me voir en séminaire, sont des hommes qui évoluent
vers leur féminin intérieur et sont capables de faire
de leur vulnérabilité une force. Voilà le véritable
retournement : pendant longtemps, la force était de tenir
l'épée, d'être riche, d'avoir une grosse voiture,
de l'argent, une place sociale importante, aujourd'hui c'est aussi
l'humour, être capable d'aimer sa femme, de devenir un amant
de plus en plus vibrant et sensible, d'être un père
qui touche ses enfants, qui les élève, leur donne
le biberon, quelqu'un qui développe sa dimension poétique,
écologique et planétaire. Mais au passage, cet homme
plus sensible devient moins compétitif dans un monde qui
se vit encore beaucoup masculin.
Nous n'avons plus qu'à souhaiter que les femmes restent pas
dominantes trop longtemps et qu'elles ouvrent leur coeur au sein
de la force nouvelle qui consiste à contacter et dissiper
le malentendu que les hommes continuent de nourrir en croyant que
la femme émergent va les écraser.
propos recueillis par Cécile
Fraydon-Point
Journal Réel,
nov 2002
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