- Entretiens avec Paule Salomon -
 
 


La Fin de la Guerre des Sexes

propos recueillis par Cécile Fraydon-Point
Journal Réel, nov 2002

 

Entretien avec Paule Salomon

Pour Paule Salomon, la guerre des sexes est un malentendu :
pour les hommes et les femmes d'aujourd'hui il s'agit de devenir forts et doux.

Réel : Aujourd'hui la place de l'homme et de la femme dans le couple, dans la société est en train de changer, vous qui voyez beaucoup d'hommes et de femmes en démarche d'évolution, que pouvez-vous nous apporter sur ce sujet là et quels outils proposez-vous pour aider ces hommes et ces femmes dans leur parcours ?

Paule Salomon : Je crois qu'effectivement le couple est en crise. Ce constat d'ordre sociologique concerne beaucoup de gens, et les recherches sur la psychologie du couple s'affinent. Je pense que le pire reste encore à venir, et en même temps, je constate qu'il y a une possibilité d'envisager la fin de la guerre des sexes. J'entrevois un axe, une solution, un apaisement, il ne s'agit pas d'une fatalité, d'un fossé abyssal, qui sépare deux êtres différents, mais d'un malentendu de civilisation. Nous savons que l'amour est comme une fleur qui n'a cessé de s'épanouir et de se développer à travers les siècles, de se raffiner à travers les plus poétiques d'entre nous, hommes ou femmes. L'amour est une dimension en hausse à l'heure actuelle, tout le monde se réclame de cette valeur et voudrait l'incarner au moins une fois dans sa vie. Personne ne se résigne à faire un couple dans lequel il n'y a ni désir, ni amour. Nous sommes donc dans une tension paradoxale. Jamais on n'a autant demandé au couple qui est en train de devenir le creuset de l'amour. L'objectif est très différent et la manière de vivre ensemble n'a pas évolué; donc nous nous trouvons dans une sorte d'impasse, il y a toujours autant d'élan, mais des difficultés se révèlent de plus en plus. Nous héritons aujourd'hui d'une situation globale sur la sexualité, sur la relation au corps très insuffisante, qui fait que la misère sexuelle est aussi une réalité suffisamment générale pour être préoccupante.

" Lorsqu'une femme prend trop de pouvoir dans le couple,
son mari a des problèmes de désir, lorsqu'un homme écrase sa
femme par son autorité, elle a des problèmes de désir. "

Réel: Dans vos livres, vous parlez de la sexualité comme pouvant nourrir en nous les aspects les plus fins, une sexualité "éveil', pouvez-vous nous en parler ?

Paule Salomon : Tout d'abord, on ne peut séparer le sexualité des difficultés psychologiques. Ces difficultés tiennent à trois types de handicaps. Le fusionnel est le premier : beaucoup ont vécu une fusion la mère ou au père qu'ils revivent avec leur compagnon ou leur compagne. Ce fusionnel s'accompagne d'une grande possessivité et des heurts se préparent, car une personne ne nous est jamais complètement dévouée. L'autre a d'autres désirs et la différenciation intervient au sein de la fusion, le Je ressurgit au sein du Nous. Tout au long d'une vie, le Je réclame son dû, toute personne a besoin de continuer d'avancer vers elle-même et en même temps de trouver le moyen de nourrir le Nous. On ne prépare pas nos adolescents à sortir de l'illusion du fusionnel correctement. Le fusionnel est une forme d'amour importante reliée en nous à ce que nous avons de plus spirituel, au sentiment d'unité, mais avec des limites archaïques qui le rendent trop possessif et englobant, pour laisser la place à l'épanouissement de la personne. Le deuxième handicap est la relation dominant-dominé qui structure notre société et qui se retrouve dans le couple. Pour être simple et trivial : "qui va tirer la couverture à soi ? ", pendant la nuit, lequel va se retrouver tout nu, lequel va grelotter de froid, pendant que l'autre est bien enroulé dans la couverture ? Parfois en séminaire, je fais faire un jeu avec une feuille de papier, disant au couple "voilà, cette feuille de papier est unique, précieuse, alors lequel des deux va parvenir à la garder pour lui tout seul ? ", ce n'est pas triste de voir ce qui se passe, même avec des gens prévenus ! Autrement dit, le désir de survie en nous est très important et dès qu'on empiète sur ce territoire, les réactions sont extrêmement vives. Le dominant-dominé nous plonge au coeur des structures sociales, car nous sommes obligés de reconnaître que depuis des millénaires la société s'est structurée au masculin. Dominance masculine théologique, la notion du Dieu est masculine avec une culpabilité de la femme qui a fauté. Même aujourd'hui dans un contexte différent cette inscription est profonde en nous. La relation dominant-dominé a besoin d'être apprivoisée. Tout comme le fusionnel, elle n'a pas que des aspects négatifs. Le négatif, c'est l'exploitation des uns par les autres. L'aspect positif, c'est une hiérarchisation des fonctions : "dans les domaines que tu connais le mieux, c'est toi qui m'enseignes, et dans les domaines que je connais le mieux, c'est moi qui t'enseigne." Comme nous sortons d'une relation parents-enfants, nous avons tendance à jouer à l'adulte avec l'autre et à lui donner le rôle de l'enfant, ce qui ne manque pas de faire conflit, car aucun d'entre nous ne souhaite qu'une personne s'immisce dans sa façon de vivre. Dès qu'il y a ce jeu de mise en coupe réciproque, de surveillance, dès que je veux changer l'autre, j'introduis dans la relation une possibilité de refus et de conflit qui est préjudiciable à l'amour et qui érode la force du désir. Lorsqu'une femme prend trop de pouvoir dans le couple, son mari a des problèmes de désir, lorsqu'un homme écrase sa femme par son autorité, elle a des problèmes de désir en ce sens qu'on ne peut séparer sexualité et psychologie.

Réel: Le troisième handicap à la relation est donc le conflit issu du jeu dominant-dominé. Pour ne pas rester dans le cercle vicieux du conflit quels outils proposez-vous ?

Paule Salomon : Vous avez raison de parler d'outils car mon travail dans les séminaires est de trouver les outils pour sortir du fusionnel, pour permettre au dominant-dominé d'être vécu de façon positive. Ce troisième temps fort, celui du conflit, je souhaiterais le voir aborder partout pour les adolescents. Je trouve que c'est un secteur essentiel car la planète est loin d'être sortie de la guerre. Nous sommes exploiteurs les uns pour les autres dans des conflits des teurs et mortifères en ce qui concerne les nations comme pour le couple. C'est un cercle vicieux du blessé-blessant. La personne blessée devient potentiellement dangereuse pour l'autre, donc blessante, et dès que je suis blessée, je deviens blessante à mon tour. Et beaucoup d'entre nous, même parmi ceux qui ont beaucoup travaillé sur eux, découvrent un jour quelqu'un qui est leur maître à ce niveau-là, quelqu'un avec qui ils ne parviennent pas à juguler le conflit, et sentent monter en eux des violences dont ils ne se seraient pas sentis capables. Et voilà que des forces de destruction diaboliques se manifestent. Alors c'est là que l'intelligence du cœur peut intervenir, il faut un troisième terme: deux personnes engagées dans un conflit blessé-blessant peuvent évidemment parvenir à en sortir seules. Il faut souvent l'aide d'un thérapeute au moins sur l'un des deux et parfois sur les deux et même lorsqu'on apprend les outils, soyons clair, il n'est pas toujours facile de s'en servir. Pour moi, l'intégration des outils sur lesquels je travaille demande plusieurs mois voire un ou deux ans. C'est un endroit terrible où l'ego est narcissiquement atteint, un endroit relié à la peur que chacun d'entre nous nourrit d'être pris en défaut. Pour sortir du conflit, il faut se mettre en cause et commencer d'accepter son ombre : je dis des mots qui peuvent paraître sibyllins : 'Le coeur naît de l'ombre'. Nous croyons aimer, mais sommes dans l'illusion de l'amour tant que nous ne tes pas capables de reconnaître nos torts.

'' Le coeur naît de l'ombre.''


La définition de la tyrannie, c'est de ne pas être capable de se mettre en question. Nous sommes tous des tyrans dans la défense de notre ego. Cela nous demande un retoumement spirituel, c'est le développement de la conscience que d'être cette personne qui va pouvoir se mettre en cause devant l'être aimé : "oui je suis cette personne qui oublie d'éteindre la lumière, qui dépense trop d'argent, qui rentre plus tard que prévu, etc..." C'est un mouvement subtil qui consiste à pouvoir accepter de se mettre à cet endroit-là qui va décomprimer les tensions. II y a aussi la dimension l'empathie, celle qui consiste à se mettre à la place de l'autre, la dimension de l'écoute active qui permet d'entendre derrière les mots la souffrance qui anime la personne, c'est-à-dire de ne pas entrer dans le jeu réactif de la souffrance. Les outils du conflit sont à apprendre en séminaire, pas dans les livres, pas dans les conférences. Il faut les vivre.

Réel: Ce conflit est d'autant plus aigu à l'heure actuelle que les femmes deviennent plus dominantes et que les hommes sont davantage en contact avec leur partie féminine.

Paule Salomon : Je me passionne beaucoup pour cet aspect que je considère comme une chance pour notre époque. Nous sortons de l'ornière de la relation homme-femme qui la confinait à l`intérieur et les hommes à l'extérieur. Ceci se traduisait par un refoulement du féminin chez l'homme (en tant qu'archétype guerrier : de la finance, de l'esprit ou des armées) et du masculin chez les femmes. Ce double refoulement a cédé sous la pression des mouvements féministes qui a permis peu à peu que la femme retrouve une place active. C'est comme si nous nous étions partagé un temps l'humanité en deux : aux hommes, l'actif ; aux femmes, le réceptif. En fait, tout être humain est à la fois actif et réceptif. Un nouvel homme et une nouvelle femme sont en train de se dessiner. Leur 'figure' n'est pas terminée, c'est comme un puzzle qui compose déjà un paysage que nous pouvons entrevoir. Je parle de cette nouvelle femme dans La Femme solaire. La lune était traditionnellement l'attribut de la femme, reliée aux menstruations, et comme la lune reflète le soleil, la femme était chargée de refléter l'homme. Mais à son tour aujourd'hui, elle devient rayonnante. Ce ne sont pas les hommes évolués qui me diront le contraire, les hommes qui croyaient aimer des femmes soumises se rendent compte que la femme rayonnante, c'est merveilleux pour eux. En même temps, ils en ont peur parfois, car ils la confondent avec la femme dominante et la Déesse-Mère.

'' Les hommes qui croyaient aimer des femmes
soumises se rendent compte que la femme
rayonnante, c'est merveilleux pour eux ''

des origines, avec la femme très puissante vue comme castratrice. Ils ont peur que cette femme émergente redeviennent castratrice, et il faut bien avouer que le risque existe. Au sortir d'années de soumission et d'engloutissement, la révoltée a un aspect vindicatif, durci, trop mental, elle perd certains traits que les hommes à juste titre, aiment dans la douceur féminine. Je précise que les hommes sont en train d'acquérir de la douceur et !es femmes de la force, et que pour chacun d'entre nous, il s'agit de devenir fort et doux.
Une nouvelle difficulté vient de ce que les femmes sont trop fortes et pas assez douces, et les hommes trop doux et pas assez forts. Un déséquilibre sociologique - plus accentué aux Etats-Unis - peut se révéler en Europe. La féminité est en train de toucher les hommes qui deviennent de plus en plus sensibles et cette sensibilité est à la fois positive et difficile. Ils descendent dans les enfers de leur inconscient qui comporte ce côté dépressif de la nature humaine. Longtemps les femmes étaient seules à faire des dépressions, aujourd'hui les hommes en font lorsque leurs femmes les quittent ou que leur vie professionnelle s'effondre... Mais ce moment donne l'occasion de retrouver un sens profond à la vie.
Comment chacun peut-il marier ces polarités? Chaque être est unique, les nuances sont multiples. Les hommes qui viennent me voir en séminaire, sont des hommes qui évoluent vers leur féminin intérieur et sont capables de faire de leur vulnérabilité une force. Voilà le véritable retournement : pendant longtemps, la force était de tenir l'épée, d'être riche, d'avoir une grosse voiture, de l'argent, une place sociale importante, aujourd'hui c'est aussi l'humour, être capable d'aimer sa femme, de devenir un amant de plus en plus vibrant et sensible, d'être un père qui touche ses enfants, qui les élève, leur donne le biberon, quelqu'un qui développe sa dimension poétique, écologique et planétaire. Mais au passage, cet homme plus sensible devient moins compétitif dans un monde qui se vit encore beaucoup masculin.
Nous n'avons plus qu'à souhaiter que les femmes restent pas dominantes trop longtemps et qu'elles ouvrent leur coeur au sein de la force nouvelle qui consiste à contacter et dissiper le malentendu que les hommes continuent de nourrir en croyant que la femme émergent va les écraser.

propos recueillis par Cécile Fraydon-Point

Journal Réel, nov 2002

 
  
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