PAULE SALOMON
Comprendre le couple intérieur/extérieur
Développer le Masculin et le féminin
L'art d'une vie consciente
Des outils d'évolution

Une Ecole du Frémissement...


Le Centre de la Croix


par Paule Salomon - Nouvelles clés Printemps 1997

L'auteur de La Femme solaire plaide ici pour que la femme d'aujourd'hui
retrouve son rôle hiérophanique d'initiée aux mystères,
afin de nous faire passer de l'horizontalité de notre vie active
à la verticalité de notre dimension spirituelle.

Car l'humanité a besoin d'urgence, d'un changement de paradigme.

Et si l'étincelle spirituelle reposait au plus profond du sexe et du ventre de la femme ? Et si c'était à elle de la faire ressurgir des mutilations et des culpabilités ? La prêtresse retrouvée ouvre alors le passage au nouveau prêtre, non pas celui de la castration ou de la robe, mais un homme d'une immense douceur alliée à sa force, qui peut accueillir une femme et se laisser accueillir par elle pour partager l'infini de l'amour. Le trajet de l'amour romantique à l'amour conscient ouvre la voie d'une nouvelle spiritualité.

Les femmes gardiennes

Dans la grande entreprise de laminage de l'ère patriarcale, la femme n'a pas seulement été soumise et infériorisée sous le joug, la loi du masculin, elle a aussi perdu sa valeur d'initiée ou, du moins, elle l'a engloutie sous les eaux de l'inconscient. Comme Blanche Neige ou la Belle au bois dormant, elle est la princesse endormie, protégée d'un destin plus funeste par son sommeil même. Elle dort et veille sur le possible tout à la fois comme la graine enfouie dans le sol pendant les froidures de l'hiver et elle attend le printemps de son âme. La femme se garde et a placé au plus profond de son coeur le message de l'amour, et nul ne sait qui viendra la délivrer et libérer le passage. C'est toute l'histoire du Graal et des chevaliers en quête de la coupe de la féminité, du vase sacré.
Mais les chevaliers de la Table ronde se sont évanouis à l'horizon. Ils ne reviendront pas car il n'appartient plus aux hommes de sauver l'âme malade du monde, malade d'un manque d'amour. Les femmes commencent à savoir que le chevalier, le prince tant attendu, surgira en elle et que l'attente doit se convertir : d'extérieure elle doit devenir intérieure.
Une musique très lointaine se fait entendre, plaintive encore, souffrante et discordante. Celle des femmes qui se relèvent et se réveillent dans un ballet incertain. Comme elles sont mutilées et incomplètes, ces femmes ; comme elles se cherchent, comme elles s'auto-détruisent, comme elles s'entre-détruisent, ignorantes de leur beauté et de leur sororité. Pourtant, des mains s'élèvent, se rejoignent, esquissent la forme d'une coupe, font naître un soleil. Ce soleil pâlit et l'on peut croire qu'il va disparaître, mais à nouveau il brille au-dessus des têtes. Les chants deviennent plus mélodieux, plus puissants. Une onde se déverse en pluie fécondante sur l'humanité assoiffée. Le chant de l'être se répand et irrigue toutes les âmes. L'espoir de ce monde est entre les mains des femmes.

Que peuvent faire les femmes ?

Réapprendre à s'aimer elles-mêmes et entre elles. Celles qui émergent socialement cherchent plus la compagnie des hommes que celle des femmes. Elles sont flattées secrètement d'être acceptées par ceux qui détiennent le pouvoir, elles s'identifient plus volontiers à eux qu'aux femmes qu'elles accusent d'être mesquines, jalouses et peu intéressantes.
Et pourtant, la blessure culturelle collective a besoin de se guérir par des retrouvailles avec la royauté intérieure de la femme. Sur un plan énergétique, la femme est par son corps une urne de vie. Elle peut abriter une nouvelle vie et lui donner naissance. Son sexe est à l'intérieur de son corps. À tout instant il lui parle comme une chaude présence. il l'invite à une célébration intime. Quand elle accepte cette stimulation érotique toute particulière, la femme est perpétuellement reconduite à l'état d'éveil. Quand elles ne sont pas blessées par l'éducation, la petite fille et la jeune fille ont cette capacité d'écoute et de pétillement intérieur qui leur permet de relativiser les enseignements rationnels du langage et les discours du mental. Dans son essence, la femme a un accès direct à l'extase, au présent de l'instant, à la réceptivité créatrice de grâce.

L'histoire d'une coupure

Dans différentes cultures, les pratiques de mutilation du sexe féminin sont reliées au désir masculin de couper cette capacité initiatique qui fait de la femme un être fondamentalement libre, inaliénable. Plus subtilement, les théologies occidentales ont coupé la femme du meilleur d'elle-même en condamnant dans un même mouvement la sexualité, la chair et la femme, toutes coupables d'exister. La chute de l'humanité est liée au péché majeur de croquer la pomme. Et jamais Adam ne se serait engagé dans cette voie s'il n'y avait eu la tentation de cette pécheresse d'Ève. L'histoire n'a souvent retenu que cette culpabilité. Mais l'autre face est celle d'un pouvoir exorbitant. Dire que la chute est du côté d'Ève, c'est dire implicitement qu'elle détient aussi le pouvoir de l'élévation.
Pendant des milliers d'années, les prêtresses de la Déesse-Mère ont rempli cette fonction positive de lien entre le ciel et la terre, elles organisaient dans les temples les cérémonies de la fertilité. Les hommes et les femmes se r e n c o n t r a i e n t sexuellement sous l'égide d'un rituel qui donnait toute sa signification à leur étreinte. Il s'agissait d'un hierosgamos, mariage ou union sacrée. Une ligne terre-ciel, sexe-tête était ainsi invitée à se manifester pour l'irruption d'une conscience plus vaste, d'une conscience hors temps. L'orgasme sexuel, dans certaines conditions, peut devenir une extase, non plus seulement localisée au sexe mais amenée vers le cerveau, et le vécu permet une sortie du temps, comme si le présent s'étirait indéfiniment. Il y a toujours un moment où le temps vous rattrape, mais cette incursion plus ou moins brève dans l'éternité apporte à l'être une force intérieure où il s'inscrit. C'est ainsi que nous avançons de point d'entrée en point de sortie.
La femme interdite de prêtrise, soumise à l'homme, culpabilisée, n'a plus la possibilité de faire chanter ce lien pour elle-même et pour l'homme. Désormais, il lui est demandé de se contenter d'être une femme strictement fidèle à un seul homme, de lui faire des enfants et de les élever. Elle rachètera sa faute en étant une bonne épouse et une bonne mère. La femme au sexe chantant ne survivra que comme exception dans le cadre du mariage et se réfugiera parfois chez la putain comme une caricature d'elle-même. Mais notre époque favorise depuis cinquante ans la réémergence de la dimension de prêtresse chez la femme. Les possibilités de la contraception lui ont rendu une maîtrise de sa fécondité. Désormais, la sexualité a pu ressortir de sa stricte fonction de sexe il renonce à en faire usage. Ce qui suppose qu'il a abandonné la fonction pénétrante au profit de la seule réceptivité. Le prêtre s'adonne au féminin de l'existence, au partage, à la charité, à la compassion, à l'amour... C'est une véritable conversion, une mutation qui ne se fait pas sans violence sur la nature quand il s'agit de voeux prononcés à vingt ans.
Car, pour la majorité des hommes, l'accès à l'anima, à la figure de la femme intérieure, passe par des visages significatifs de femmes, de la mère à la soeur, à l'amante, à l'épouse, à la fille, etc. La beauté intérieure se construit par ce va-et-vient de l'extérieur vers l'intérieur. Certaines personnalités masculines répriment ce féminin à cause des circonstances de leur éducation, mais même les plus cuirassés se laissent rattraper par leur sensibilité aux alentours de la soixantaine, et parfois avant. Lorsque l'intégration du féminin reste freinée, la plupart des hommes se polarisent sur le pouvoir, ont peu d'accès à une femme sur le plan affectif, restent immatures et dépendants, avec une peur et une fascination mêlées à l'égard de la femme. Le Don Juan est un homme qui a peu de contact avec son anima et qui compense ce manque par une quantité extérieure. L'homme de pouvoir peut être entouré de femmes dont il tente de se nourrir, de se remplir en vain, ce qui développe parfois une insatisfaction cynique. Que se passe-t-il pour un homme quand le féminin commence à germer en lui ? Il prend conscience, il évolue, mais souvent, d'abord, il souffre d'un excès de sensibilité, d'un trop plein d'amour. Pour moins souffrir, il tente de comprendre, il cherche, et sa quête le conduit sur une voie où, progressivement, tout prend sens. Il peut devenir Tristan, l'homme d'une seule femme, parfois encore dépendant, avant d'être l'homme conscient, l'homme de l'unité, qui peut s'engager différemment dans le voyage de l'amour.

L'étoile à six branches

Que signifie la rencontre des deux triangles dans l'étoile de Salomon ? Le triangle du haut représente le besoin d'élévation de l'être et le triangle du bas son enracinement. Le croisement de ces deux triangles donne naissance à l'étoile à six branches qui symbolise aussi une réalisation harmonieuse de l'être réconcilié avec les deux directions fondamentales du masculin et du féminin. Vouloir s'élever n'exclut pas d'avoir les deux pieds sur terre, puissance et conscience ont la nécessité de se conjoindre, de se marier, de s'infuser mutuellement. Mais tout se passe comme si, jusqu'à présent, les religions et les sagesses n'avaient
guère trouvé de propositions collectives qui intègrent ces deux dimensions. Le triangle pointe en haut a été privilégié par le masculin. Les trois religions monothéistes invitent l'être spirituel à se désincarner, à vivre un allégement, une sortie du corps. Le message collectif enregistré comme une croyance est celui-là: moins vous vous occuperez des biens matériels et des plaisirs de la chair, plus vous vous approcherez de votre nature divine obscurcie par la pesanteur de la matière et la concupiscence. Purifier son regard, c'est aussi se détacher du monde. La vie terrestre peut être souffrante, mais l'au-delà justifie tout. Le triangle pointe en bas tend à amener la conscience dans l'incarnation. Il ne s'agit plus de sortir, mais d'entrer. Chaque geste du quotidien devient l'occasion d'exercer un discernement, une qualité de présence. Aucune forme de vie n'est meilleure que l'autre, tout dépend de la présence apportée dans la joie comme dans l'épreuve. L'argent, la sexualité, la sensualité, le plaisir de vivre ne sont plus tabous, mais l'occasion d'exercer une sagesse du milieu, de chevaucher une force sans se laisser désarçonner par elle. Notre époque tente de trouver une voie qui conjugue ces deux directions masculine et féminine de la spiritualité - la désincarnation et l'incarnation. Pour l'émergence de l'étoile.

Le centre de la croix

Que signifie la rencontre de la verticale et de l'horizontale au centre de la croix ? La croix évoque d'abord, pour un Occidental, la crucifixion. Comme si la conjonction de l'horizontale et de la verticale ne pouvait se faire sans une terrible souffrance. Nous sommes confrontés à cela dans notre vie de tous les jours. Quel est le temps que je consacre à l'horizontale et quel est le temps que je consacre à la verticale ? Une vie profane est pratiquement entièrement faite de gestes pour la survie ou pour l'affirmation de soi, des courses au bricolage, à l'entretien de la maison, à l'activité professionnelle, à la gestion du budget, à la poursuite d'une oeuvre... Une vie consacrée posera les pratiques méditatives ou caritatives au centre de son temps. Y a-t-il un troisième terme, une vie consciente qui tente à chaque instant la conjonction de la verticale et de l'horizontale ? Notre époque semble chercher cette rencontre et, dans le même état d'esprit, le couple apparaît à beaucoup comme une voie de réalisation, un lien entre profane et sacré. Réussir à vivre harmonieusement une intimité prolongée avec un autre représente une sorte d'épreuve initiatique. Dans certains cas, la méditation incluse dans le quotidien contrebalance la paresse de pratiquer, mais la morale de l'effort et de la discipline ne suffit pas à favoriser l'évolution. Quel est ce centre, quel est ce coeur situé au croisement de deux directions sinon l'approche toujours plus subtile de soi-même et de l'autre ? Aimer.
Dans une perspective historique, l'amour est comme un cadeau de la crucifixion et de la souffrance, de la soumission douloureuse des femmes, de l'emmurement des hommes dans leur carapace guerrière. Aujourd'hui, l'amour nous invite à une fleur de réalisation. Il y a eu un temps pour la coupure. Il y a un temps pour la jonction. Les hommes et les femmes s'individualisent, affirment leurs différences, explorent une identité plus androgyne, changent leurs comportements, prennent un espace de liberté et paradoxalement, se donnent les chances de se rencontrer dans la fusion comme jamais.
Et si le centre de la croix pouvait s'atteindre par cette rencontre toujours plus complète de deux corps, de deux âmes, de deux esprits s'avançant l'un vers l'autre dans un dénuement toujours plus total, une finesse toujours plus présente ? Et si l'émerveillement du divin nous attendait non pas dans la sortie, non pas dans l'entrée, mais au milieu, là où nos religions ne sont jamais allées le chercher jusqu'à présent ? Dans l'incandescence de la chair, la nudité de l'âme, l'élévation de l'être. Une femme consciente peut allumer la flamme de ce projet de vie, et le proposer à son compagon jusqu'au moment où lui aussi se fait le porteur de feu.

Nouvelles clés Printemps 1997



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